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Les critiques sur la Cour pénale internationale sur les poursuites et décisions déjà prises portent sur le fait que les procureurs qui se sont succédés, se sont concentrés uniquement sur l'Afrique et que la Cour, par effet induit, n'a condamné que des Africains. Elle a dû supporter des critiques très acerbes à ce sujet et a été accusée, par voie de conséquence, d'être tout simplement tendancieuse. C'est pourquoi, il ne faudrait pas que, pour se donner bonne conscience, elle utilise des outils juridiques erronés qui lui permettraient d'étendre sa compétence au-delà des limites qui lui ont été assignées par le Statut de Rome et qui relève, non de sa compétence mais des relations internationales et de la négociation des traités entre États. La Cour n'a pas été instituée pour s'immiscer dans le droit des traités mais pour être un juge impartial des cas qui lui sont soumis dans le ressort de sa compétence.

Or, la procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI) a décidé d'ouvrir un examen préliminaire sur la question de savoir si des crimes de guerre avaient été commis « dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le 13 juin 2014»1. Dans sa demande à la Cour, la procureure a indiqué qu'elle était « convaincue qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation en Palestine... » À la suite de la résolution 67/19 de l'Assemblée générale des Nations Unies qui accordait à la «Palestine » le statut d'« État observateur non membre » des Nations Unies, l'autorité palestinienne, se considérant comme un État, avait signé le statut de la Cour Pénale Internationale et accepté la compétence de la Cour pour tous les crimes commis sur son « territoire» depuis 2014.

L'article 12 du Statut de Rome, traité international qui a créé la Cour Pénale Internationale2, définit la compétence de la Cour et la limite aux crimes de guerre commis sur le territoire d'un État qui a signé et ratifié le traité ou aux crimes de guerre commis par des ressortissants de pays qui ont signé et ratifié le traité. Selon l'article 13b) du traité, seul le Conseil de sécurité des Nations Unies peut soumettre à la compétence de la Cour les affaires impliquant des crimes qui ont été commis sur le territoire d'un État non signataire. En résumé, en laissant de côté le principe de subsidiarité de la compétence de la Cour, le seul moyen pour la Cour d'avoir compétence sur les crimes de guerre prétendument commis dans la bande de Gaza, la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, serait si la Cour accepte l'idée que la « Palestine » est un Etat souverain légitime. A cet effet, il est important de souligner qu'Israël n'a pas ratifié le Statut de Rome, et que le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas non plus saisi la Procureure de cette affaire.

Or, la procureure a soumis à la Cour, conformément à l'article 19 (3) du Statut de Rome, la question de la compétence «avant d'engager une procédure qui pourrait être litigieuse». La procureure demande à la Cour d'accepter tout simplement l'idée que la « Palestine » est un État souverain et de s'appuyer sur l'acceptation de son instrument d'adhésion par le Secrétaire général de l'ONU. Il convient toutefois de noter qu'en acceptant l'instrument d'adhésion de la « Palestine » à la CPI, le secrétaire général de l'ONU a souligné qu'il remplissait une fonction administrative et qu'il appartenait aux " États de prendre leur propre décision en ce qui concerne toutes questions soulevées par les instruments... »3. Alternativement, elle demande à la Cour de tout simplement conclure « aux fins strictes du Statut seulement - que la Palestine est un État en vertu des principes et règles pertinents du droit international»4. Elle fait valoir que la question doit « être évaluée dans le contexte du droit du peuple palestinien à l'autodétermination (une norme de jus cogens qui est opposable erga omnes)»4. Or, un État est défini en droit international comme suit : « L'État est communément défini comme une collectivité qui compose un territoire et une population soumise à un pouvoir politique organisé » et «se caractérise par la souveraineté»5. Le droit du peuple palestinien à l'autodétermination ne peut en aucun cas être confondu avec la question de l'existence ou non d'un État souverain qui remplit les conditions posées par le droit international général.

Il est important de souligner que le peuple palestinien n'avait pas d'État souverain sur le territoire que la procureure lui attribue, avant la conquête de ce territoire par Israël en 1967. La Cisjordanie et Gaza étaient contrôlées par le Royaume de Jordanie et l'Égypte respectivement à la veille de la guerre de 1967. Les faits historiques et juridiques de cette affaire ne peuvent être comparés aux nations souveraines conquises par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont vu leurs gouvernements souverains légitimes restaurés à la fin de la guerre. Le cas actuel relève, à bien des égards, de l'analyse d'une nouvelle situation sui generis sur le plan des relations internationales et doit être examinée à tout le moins dans le cadre de ces mêmes relations à la lumière du droit international et non du droit de la Cour pénale internationale. Israël a signé un traité de paix avec l'Egypte et la Jordanie, et bien que les deux traités de paix réservent aux négociations le statut final de la bande de Gaza, on peut avoir de sérieux doutes quant à l'application du droit international de la guerre à ces territoires plutôt qu'au droit international de la paix.

Les arguments avancés par la procureure sont non seulement critiquables juridiquement, mais sont potentiellement dangereux à la fois pour l'avenir de la Cour et pour le processus de paix au Moyen-Orient. La procureure demande à la Cour de se mêler de questions relevant des relations internationales et des droits historiques remontant, pour certains, à la Bible et qui font l'objet de discussions et de négociations depuis des décennies. Pour s'estimer compétente sur cette affaire, la Cour devra décider que la « Palestine » est un État souverain et déterminer quel est son territoire. Au- delà du fait qu'il est totalement irréaliste et hors contexte d'affirmer que l'autorité palestinienne a effectivement une quelconque autorité sur Gaza, une bande de territoire qui a été totalement évacuée par Israël et qui est aujourd'hui sous l'autorité du Hamas, il est contradictoire de prétendre qu'elle a une quelconque autorité sur un territoire qu'elle prétend occupé et sur lequel elle n'a jamais eu aucun droit souverain. « Un État souverain ne pouvant être soumis à l'ordre juridique de ses pairs...»6.

Alors que la procureure soutient que la « Palestine » est un État existant et que son territoire souverain comprend toute la Cisjordanie et la bande de Gaza, elle affirme également que ce territoire est sous occupation belligérante israélienne. Or, en fait et en droit les notions de souveraineté et d'occupation sont antinomiques.

L'article 42 du Règlement de La Haye de 1907, qui est considéré comme reflétant le droit international coutumier énonce: « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il est effectivement placé sous l'autorité de l'armée hostile. L'occupation ne s'étend qu'au territoire où cette autorité a été exercée»7.

De toute évidence, la seule autorité exercée sur le territoire que la procureure attribue unilatéralement à l'autorité palestinienne est l'autorité de l'armée israélienne. À Gaza, l'autorité est exercée par le Hamas.

Ce territoire n'est pas non plus soumis à un système juridique contrôlé par l'autorité palestinienne. Au contraire, en vertu du droit international coutumier, le pouvoir législatif en territoire occupé revient au commandant militaire des forces d'occupation. L'article 43 du Règlement de La Haye de 1907 énonce : «L'autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays».

Il ressort parfaitement de cet article de ce Règlement que la puissance occupante a pleine autorité sur le territoire occupé et est non seulement responsable, mais a la responsabilité, en vertu du droit international, de restaurer et de maintenir ce qui est au coeur du pouvoir souverain, à savoir l'ordre public et la sécurité publique. Bien que la puissance occupante soit liée par les lois en vigueur avant l'occupation, elle est néanmoins investie de pleins pouvoirs législatifs. Il est impossible de voir comment on pourrait soutenir que l'autorité palestinienne pourrait être considérée comme un gouvernement souverain sur un territoire que la procureure considère comme occupé. Dans la mesure où aucun gouvernement légitimement souverain n'existait sur ces territoires à la veille de la guerre des six jours, l'argument de la procureure selon lequel c'est l'occupation israélienne qui empêche la création et la reconnaissance d'un État palestinien est dépourvu de tout fondement. Une nouvelle entité étatique palestinienne n'existe pas tout simplement parce que les négociations de paix n'ont pas encore abouti.

La Cour nuirait donc immanquablement à la cause de la paix en s'immisçant dans le processus très tendu de détermination des frontières d'un futur État palestinien. Cette question fait l'objet d'allers-retours politiques sans fin depuis des décennies. Le consensus est cependant que les frontières d'un tel État seront décidées par voie de négociations. Ce consensus a été inscrit dans d'innombrables résolutions, accords et déclarations politiques publiés par de nombreux pays et organisations internationales, dont l'Union Européenne. En brisant ce consensus et en décidant arbitrairement qu'un État de « Palestine » avec des frontières et un gouvernement souverain le processus de paix que, entre autres, le président des États-Unis et plusieurs pays arabes tentent actuellement de relancer. Si un État palestinien devait un jour être créé, ce serait en vertu d'un accord international et non par une décision judiciaire qui n'a aucun fondement juridique, et qui, inévitablement risquerait, par son ignorance des réalités de terrain et des questions liées aux relations interétatiques serait, non un élément fondateur mais un élément destructeur du processus de paix, au prix peut-être même par ses conséquences induites de retour à la violence. A ce propos, il est important de noter la décision du 9 juillet 2004 de la Cour Internationale de Justice, qui a émis un avis consultatif contre Israël sur la question du mur qu'Israël a construit pour arrêter la vague d'attentats suicides qui a causé la mort de nombreux citoyens et de nombreuses destructions. La Cour Internationale de Justice, se référant à la «Feuille de route» pour la paix approuvée par le Conseil de sécurité, a déclaré à l'issue de sa décision: «La Cour considère qu'il est de son devoir d'attirer l'attention de l'Assemblée Générale, à laquelle le présent avis est adressé, sur la nécessité d'encourager ces efforts en vue de parvenir le plus rapidement possible, sur la base du droit international, à une solution négociée aux problèmes en suspens et la création d'un État palestinien, coexistant avec Israël et ses autres voisins, avec la paix et la sécurité»8.

Par cette décision, il est clair que la Cour Internationale de Justice a renvoyé la création d'un État palestinien à des négociations internationales. Ce que la procureure demande à la Cour Pénale Internationale, c'est de s'immiscer dans ces relations interétatiques qui sont hors de son champ de compétence et ainsi d'imposer un État palestinien non seulement à Israël, mais aussi à d'autres nations, y compris les États qui sont parties au Statut de Rome. Des pays tels que l'Allemagne et la Hongrie, l'Autriche et la République Tchèque ont écrit à la Cour Pénale Internationale afin d'exprimer leur désaccord avec l'idée que la «Palestine» est une partie signataire légitime au Statut de Rome. Dans son intervention du 13 février 2020, l'Allemagne a clairement indiqué qu'elle rejetait l'affirmation de la procureure selon laquelle il pouvait y avoir un État stricto sensu pour les besoins du Statut de Rome. L'Allemagne a rappelé à la Cour que les critères d'existence d'un État sont énoncés dans le droit international public général et que le respect de ces critères est une condition préalable à la compétence de la Cour. L'Allemagne a également insisté sur le fait que la création d'un État palestinien et la détermination de ses frontières territoriales «ne peuvent être obtenues que par des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens»9. Il convient de noter le rappel de l'Allemagne selon lequel la définition du statut d' État fait partie du droit international général, car il est contestable que la Cour Pénale Internationale, chargée de statuer uniquement sur des questions spécifiques liées au droit de la guerre, ait la compétence nécessaire pour rendre un jugement contraignant dans les questions liées au droit international général.

L'Allemagne a clairement précisé que «la cour serait un lieu inadapté à la résolution de ces questions»10. Elle est inadaptée pour plusieurs raisons. Bien que les conditions de la formation d'un État fassent l'objet du droit international coutumier tel qu'inscrit entre autres dans la Convention de Montevideo de 1933, la constatation de l'État est un exercice purement politique. Les conditions exigent généralement une population permanente et un territoire déterminé contrôlé par un gouvernement qui a la capacité d'entrer en relation avec d'autres États. Ce sont incontestablement des conditions que l'Autorité palestinienne ne remplit pas. En outre, le statut d'État implique également la reconnaissance par d'autres États. En d'autres termes, les États existants doivent reconnaitre le nouvel Etat ; ceci car la naissance d'un nouvel Etat a un impact sur leur souveraineté à la fois juridiquement et politiquement. Ceci souligne parfaitement la dimension politique de la question.

Oppenheim dans son traité sur le droit international de la paix écrit : «La base du droit des nations étant le consentement commun des États civilisés, le statut d'État à lui seul n'inclut pas l'appartenance à la famille des nations... Un État est et devient une personne internationale par la reconnaissance uniquement et exclusivement»10.

Oppenheim explique qu'il existe des écrivains qui ne partagent pas ce point de vue et qui sont convaincus que de nouveaux États doivent tout d'abord naître et fournir ensuite les preuves factuelles nécessaires pour prouver cette existence. Il fait cependant valoir que «si l'on tient compte des faits réels de la vie internationale, cette opinion ne peut pas tenir»10. Il continue d'expliquer : « C'est une règle de droit international qu'aucun nouvel État n'a le droit à l'égard d'autres États d'être reconnus par eux, et qu'aucun État n'a le devoir de reconnaître un nouvel État»10. Cela est particulièrement important dans ce dossier, car la « Palestine » prétend s'imposer à d'autres États parties à un accord international, à savoir le Statut de la Cour Pénale Internationale. La procureure demande à la Cour de faire abstraction du fait que des parties au traité, comme l'Allemagne, la Hongrie et d'autres, ont indiqué qu'elles ne reconnaissent pas la « Palestine » en tant qu'État et ne consentent donc pas à être liées à elle dans une convention internationale. Une convention internationale est un contrat entre des nations qui, comme tout contrat, obtient son caractère contraignant par consentement. Sur la question de la reconnaissance, il est important de noter que la « Palestine » n'est pas membre des Nations Unies. Conformément à la Charte des Nations Unies, cela nécessiterait un vote positif au Conseil de sécurité ainsi qu'une majorité des deux tiers à l'Assemblée Générale. Il est très contestable qu'un constat judiciaire établissant l'indépendance de la « Palestine » puissent survenir avant son admission aux Nations Unies. En effet, une telle conclusion impliquerait invariablement l'organe judiciaire dans une décision politique plutôt que juridique. La Cour ne peut se substituer au Conseil de sécurité qui, en plus de recommander l'admission d'un État aux Nations Unies, a également le pouvoir, en vertu de l'article 13 b) du Statut de Rome, d'accorder à la Cour une compétence, même si la «Palestine» n'a pas vu le jour.

En conclusion, la Cour devrait s'abstenir de s'immiscer le concert des relations internationales et de rendre des décisions qui pourraient être néfastes au processus de paix. Si la Cour souscrit aux théories avancées par la procureure, cela mettrait du fait de son intrusion dans une sphère de compétence qui ne relève en aucun cas de son ressort juridictionnel ; pour parler clair, il menacerait potentiellement l'avenir de la Cour et en tout cas la perception de son impartialité et de son indépendance. La procureure propose une ligne de conduite qui obligerait potentiellement les pays européens à remettre à la Cour des responsables politiques et militaires israéliens. Ce scénario ne mène à rien en l'état puisque la compétence juridictionnelle de la Cour sur une telle affaire peut être contestée par ces mêmes États du fait du manque de légitimité de la compétence que s'est appropriée la Cour proprio motu. Elle conduirait également à un dilemme diplomatique sans équivalent, plaçant les États dans une situation intenable qui conduirait inévitablement à la déconsidération voire au désaveu des ordonnances de la Cour. En clair, Israël qui possède un système judiciaire très soucieux de l'État de droit, n'a pas délégué à la Cour son pouvoir de poursuivre des crimes de guerre alors que l'autorité palestinienne n'a simplement pas de pouvoir à déléguer. Etant donné les atrocités innombrables commises en Syrie et en Iraq, le fait de cibler seul Israël, État démocratique doté d'un pouvoir judiciaire indépendant dans la région ferait en plus la preuve d'une partialité de la Cour.

Il existe des différends internationaux qui dépassent de loin la portée de tout tribunal.

Maître Ron SOFFER
pour la e-Revue Internationale de Droit Pénal


1. P. 4 du mémoire du procureur à la Cour décembre 2019
2. Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale
3. P. 72 du mémoire du procureur à la Cour décembre 2019
4. P. 7 du mémoire du procureur à la Cour décembre 2019
5. Daillier, Forteau, Pellet, Droit International Public
6. Combacau, Sur, Droit International Public, p. 273
7. Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre - Conclue à La Haye le 18 octobre 1907
8. Traduction libre décision du 9 juillet 2004 de la Cour Internationale de Justice
9. Traduction libre intervention du 13 février 2020
10. Oppenheim, Droit international. A Treatise, Volume I 2nd Edition p. 139 traduction libre

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