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LE CERCLE/POINT DE VUE - De dizaines de lois, ordonnances et décrets font grossir chaque année le droit français. Cette folie législative produit de nombreux effets pervers.

La surproduction de textes juridiques en France depuis plusieurs dizaines d'années est un problème grave, dont les enjeux doivent conduire les institutions françaises à agir en urgence.

Les actes pénalement sanctionnés sont devenus tellement nombreux que l'Etat n'a plus les moyens de les contrôler. Il fait aujourd'hui de plus en plus appel à des institutions privées (banques, entreprises spécialisées, avocats, notaires…) pour surveiller la bonne application du droit et dénoncer les infractions. Il devient difficile de se sentir libre dans de telles conditions.

Chaque année, plus de 70 lois, 50 ordonnances et 1.500 décrets viennent s'ajouter au droit français. Il existe aujourd'hui 88 codes et 50.000 textes non codifiés. Dès lors, les Français se perdent dans un dédale de textes de mauvaise qualité. L'idée, essentielle au bon fonctionnement d'une société démocratique, selon laquelle « nul n'est censé ignorer la loi » s'efface peu à peu pour ne devenir qu'une fiction.

Battage médiatique

La multiplication des sources du droit externe (Union européenne, Conseil de l'Europe, accords internationaux) ou interne (collectivités territoriales, autorités administratives indépendantes) explique naturellement cette prolifération normative.

Mais une autre cause est à déplorer : le battage médiatique comme origine de la création du droit. Le traitement frénétique par les médias de scandales de toute nature crée un besoin de sécurité dans l'esprit du public. Or les médias raffolent de ces événements qui sont traités et servis en continu. Il s'ensuit un sentiment d'insécurité croissant et un besoin de protection de plus en plus présent. La faute est alors portée sur l'absence de loi. Le législateur ne manque pas une occasion d'y répondre par la création de nouveaux textes.

Prescription rallongée

Un parfait exemple d'une législation dangereuse prise pour répondre à un sentiment d'insécurité est la loi du 27 février 2017. Elle modifie notamment les délais de prescription de l'action publique (ie l'extinction du droit de poursuivre l'auteur d'une infraction à l'issue d'un certain délai) qui a ainsi doublé pour les crimes et délits. Désormais, la prescription est de 6 ans pour les délits, contre 3 ans auparavant. Quant aux crimes, le délai est passé de 10 à 20 ans. Ces augmentations portent atteinte à la bonne administration de la justice pour plusieurs raisons :

Premièrement, la loi a pour effet d'augmenter considérablement le nombre de dossiers devant être traités par la justice, déjà très encombrée. Cette raison est d'autant plus problématique que les dossiers en question concernent des infractions anciennes ; deuxièmement, dans la mesure où l'écoulement du temps détériore et fait disparaître les preuves, cette nouvelle loi rend la défense pénale infiniment plus difficile. Plus les poursuites seront effectuées tardivement, plus les erreurs judiciaires seront possibles.

Pour justifier cette nouvelle loi, le législateur a invoqué l'augmentation de l'espérance de vie, mais le droit de la prescription n'a et ne doit avoir aucun lien avec la durée de vie des individus. Le débat est ainsi déplacé et la mesure prise n'est pas justifiée par le législateur qui feint d'ignorer qu'incriminer est un des actes les plus lourds de conséquence du droit, aggravé encore par l'augmentation de cette prescription.

Textes flous et trop longs

Depuis plusieurs décennies, le législateur laisse penser qu'il pourrait créer une société dépourvue de criminalité et parfaitement sécuritaire. Il s'agit toutefois d'une utopie. Bien au contraire, ce mécanisme de production de « lois réflexes » est extrêmement dangereux pour toute société démocratique tant ses effets sont pervers.

La société imaginée par George Orwell dans son roman fiction intitulé « 1984 », se révélera finalement très réaliste.

En effet, l'inflation législative se traduit par une mauvaise qualité de la loi : les textes sont longs, flous, le droit manque de clarté et d'intelligibilité. La loi dans son ensemble, telle qu'elle est rédigée, laisse beaucoup trop de place à l'interprétation, ce qui nuit à la sécurité juridique. Pourtant, le Conseil constitutionnel a érigé en objectif à valeur constitutionnelle les critères d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

En outre, l'inflation législative porte atteinte aux droits et libertés. Si cet état de fait perdure, ces derniers seront petit à petit éradiqués, et alors, la société imaginée par George Orwell dans son roman fiction intitulé « 1984 », au sein de laquelle Big Brother observe et dirige chaque comportement humain se révélera finalement très réaliste.

Sentiment d'insécurité

Paradoxalement, la surproduction de lois crée un sentiment d'insécurité dans l'esprit des citoyens qui ne savent plus distinguer la frontière entre un comportement juridiquement répréhensible ou non.

Enfin, l'augmentation des lois entraîne l'aggravation constante des peines. Ainsi, cette folie législative fait augmenter le nombre de personnes incarcérées. La France va-t-elle atteindre des records d'occupation dans des prisons déjà pleines à exploser ? Les effets seraient dramatiques. Il faut espérer que la France ne suive pas le modèle américain qui comptait en 2011, près de 1 % de sa population en prison.

 Ron SOFFER
pour Les Echos

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